C’était, avec les autocars, l’une des grandes mesures de la loi Macron de 2015: la constitution d’une autorité de régulation indépendante des autoroutes concédées. Une réponse au psychodrame lancé par Ségolène Royal contre ces sociétés d’autoroutes privées détentrices de contrats de concession autoroutières qu’elle considérait totalement déséquilibrés. Avec leurs bénéfices toujours plus juteux, et des péages en augmentation continuelle, ASF, Cofiroute, APRR ou Sanef apparaissaient en effet étonnamment bien loties face à un Etat désargenté et désarmés. La Cour des comptes l’avait bien relevé dans son rapport de juillet 2013: les négociations entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes sont inégaux, en particulier à cause de « l’asymétrie d’information dans laquelle est placée l’autorité concédante ». En somme, l’Etat, aveugle, se faisait rouler dans la farine par des sociétés surprotégées. D’où cette idée de créer l’Arafer, pour renforcer le contrôle par l’Etat des sociétés d’autoroute. C’est chose faite depuis le 1er février 2016. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle fait le job.
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Les mille et un abus des sociétés d’autoroutes
Dans les sept avis qu’elle a envoyés par coursier hier soir à la ministre chargée des Transports, Elisabeth Borne, l’Arafer n’y va pas de main morte. Elle y juge les sept avenants aux contrats de concession que les sociétés d’autoroutes ont négocié avec l’Etat depuis le mois de janvier dernier à l’annonce des 57 opérations de travaux retenues pour former un nouveau plan de relance autoroutier. 803 millions d’euros de travaux en échange d’augmentations supplémentaires des péages. Et les conclusions de l’Arafer sont sévères. D’une part, quasiment la moitié des projets de travaux ne sont pas justifiés! Il faut dire que les autoroutiers ont poussé le bouchon un peu loin. Parmi les opérations non justifiées, un tiers répondent déjà à une obligation contractuelle existante! APRR par exemple espère financer les 25 millions d’euros nécessaires à la « requalification de 42 aires de repos » par des péages supplémentaires alors que l’Arafer relève : « Compte tenu des attentes que sont en droit de formuler aujourd’hui les usagers de l’autoroute en la matière, les aménagements destinés à équiper les aires de repos de cabines sanitaires avec cuvettes à l’anglaise, de distributeur de savon, de sèche-mains ou encore de miroir, par exemple, relèvent des aménagements qui doivent être réalisés par le concessionnaire à ses frais. » (sic) Il y a aussi ces opérations qui ne présentent aucun intérêt pour l’automobiliste: comme ce diffuseur à Toulouse dit de la « Jonction Est » sur l’A61, qui réduirait les bouchons ici pour les augmenter un peu plus loin, de l’aveu même de son exploitant ASF! Il y a enfin, ces travaux certes justifiés, mais qui sont tarifés au prix fort. D’après l’Arafer, 80% des projets présentent un coût « plutôt élevé, élevé ou très élevé ». Jusqu’à 30% de plus que les standards observés par l’Autorité indépendante. En la matière, la palme revient à Vinci Autoroutes qui, avec ses trois réseaux ASF, Cofiroute et Escota, surestime un tiers de ses factures.
Macron, Borne et Kohler, hier et aujourd’hui
Alors, maintenant que l’Arafer a fait son travail, et pointé clairement du doigt les abus des sociétés d’autoroutes, que fera l’Etat? Saisir le conseil d’Etat pour avis (consultatif encore). Et puis… trancher! D’autant plus facilement qu’aujourd’hui, l’exécutif est on ne peut mieux au fait de ces questions. La ministre chargée des Transports, Elisabeth Borne, était la chef de cabinet de Ségolène Royal en 2014, au moment où cette dernière déclarait la guerre aux sociétés d’autoroutes. Elle était encore à ses côtés, d’ailleurs, lorsque tout ce petit monde signa le traité de paix, en avril 2015. A leurs côtés, on comptait également le ministre de l’Economie d’alors et son directeur de cabinet. Depuis Emmanuel Macron est devenu Président de la République. Et Alexis Kohler, son secrétaire général à l’Elysée. L’Arafer leur a fourni toutes les cartes. En feront-ils bon usage?
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